Publication en Biologie Polaire – Équipe Observatoires du Vivant

Les jeunes manchots empereurs ne sont pas suffisamment protégés par les zones de conservation existantes autour de l'Antarctique.

Une nouvelle étude scientifique montre que les jeunes manchots empereurs passent en effet la très grande majorité de leur temps en dehors des limites des zones de conservation existantes - ou en cours de négociation - dans l'océan Austral : ils ne sont donc pas suffisamment protégés.


Alors qu’à l'ONU les négociations pour la mise en place d’un traité international pour la protection de la haute mer n’ont pu aboutir en cette fin d’été 2022, les eaux antarctiques restent encore à ce jour très peu protégées : actuellement, seules 12% des eaux situées à l'intérieur des limites de la CCAMLR (Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique, établie en 1982) sont protégées sous la forme d’Aires Marines Protégées (AMPs), dont seulement 4,6% sont des zones strictement interdites à la pêche. Or, l’océan austral et les espèces qu’il abrite sont aux premières loges des bouleversements climatiques tels que la perte de masse de la calotte glaciaire, l’altération des courants marins ou bien encore des régimes de la glace de mer. Parallèlement, le développement des activités de pêche et la possibilité d’accéder à de nouveaux espaces libérés par le retrait de la banquise sont des menaces additionnelles bien réelles pour ses habitants.

Actuellement, plusieurs AMPs supplémentaires sont en cours de négociation. Celles-ci s’appuient sur des données de répartition d’espèces clés de ces écosystèmes polaires fragiles, notamment les manchots empereurs ou d'autres prédateurs marins supérieurs. Cependant, la distribution de ces espèces en mer est souvent insuffisamment échantillonnée du fait de difficultés logistiques inhérentes à ces contrées hostiles, en particulier lors de l’hiver austral. Plus précisément, les modèles de distribution actuels se concentrent sur les habitats des individus adultes et négligent le fait que les jeunes oiseaux immatures peuvent habiter des zones bien différentes. 

De jeunes manchots empereurs, nés en Baie d’Atka, près de la station de recherche de l'institut polaire allemand Alfred Wegener (AWI), Neumayer III, en Terre de la Reine Maud en Antarctique, ont été suivis, à l’aide de balises Argos, au cours de leur premier périple d’une année, en mer de Weddell. En effectuant une méta-analyse combinant ces données avec celles collectées uniquement jusqu’à présent sur quatre autres colonies, nous avons montré que les efforts de conservation dans l'océan Austral sont insuffisants pour protéger cette espèce très mobile et sensible, en particulier les juvéniles. 
Nous constatons que les juvéniles passent environ 90% de leur temps en dehors des limites des AMPs proposées et existantes, et que leur distribution s'étend au-delà (> 1300 km) de la zone d'occurrence de l'espèce telle que définie et utilisée par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) pour définir la vulnérabilité de l’espèce au sein de sa liste rouge. 

Cette étude, réalisée dans le cadre de la thèse de doctorat de M. Aymeric Houstin soutenue au CSM en 2020, est le fruit d’un effort international, qui rassemble le Département de Biologie Polaire du CSM, ainsi que des laboratoires français (IPHC-CNRS), allemands (AWI, FAU) et américain (WHOI). Elle souligne l’importance de considérer la distribution en mer de toutes les classes d'âge d’une espèce, particulièrement les plus vulnérables aux changements globaux, lorsqu'il s'agit de mettre en place de mesures de protection des espèces et de leur écosystème, et donc la nécessité de la recherche fondamentale pour la détermination des périmètres des AMPs.

Ces données uniques de la mer de Weddell nous amènent non seulement à reconsidérer les limites proposées de l’AMP de la mer de Weddell, mais elles sont aussi une source d’inspiration pour l’établissement de futures AMPs, en réseaux et dynamiques dans le temps et l’espace, afin de mieux protéger les zones critiques et vulnérables de biodiversité de l’océan Austral. 

Publication :

Houstin A., Zitterbart D.P., Heerah K., Eisen O., Planas-Bielsa V., Fabry B., Le Bohec C. (2022) Juvenile emperor penguin range calls for extended conservation measures in the Southern OceanRoyal Society Open Science, 9: 211708

Voir également :
Les jeunes manchots empereurs appellent un renforcement des mesures de protection des eaux antarctiques!, INEE-CNRS, 19 septembre 2022.

Marine Protected Areas in Antarctica should include young emperor penguins, scientists say, WHOI, 31 août 2022.

Emperor Penguins live up to 600 kilometers farther North than previously assumed, AWI, 31 août 2022.


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Dr Céline Le Bohec